Couple thérapeutique Amélie Gession-Paute, chirurgienne et plasticienne, et Malika Kacel, double mastectomie

Entretien en octobre 2018

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Couple thérapeutique entre chirurgien et patient | Paris | L'Institut Du Sein

MALIKA KACEL
Je suis infirmière libérale, et je prends des gardes aux urgences de la clinique Bordeaux-Nord à Bordeaux, où travaille Amélie… On ne s’était jamais rencontrées, on s’est rencontrées lors de ma première consultation.

C’était un premier contact en consultation, je savais qu’elle travaillait dans l’établissement, et puis on a après enchaîné tous les examens pour la prise en charge.

MALIKA KACEL
Le jour où j’ai passé ma première écho-mammographie, le radiologue m’a demandé si j’étais enceinte. Il s’avère que j’avais arrêté mon moyen de contraception pour tomber enceinte : troisième grossesse.

Je ne me suis pas sentie malade tout de suite. Je ne me suis pas sentie malade. Je me suis sentie maman, mais pas malade.

Donc c’était compliqué, je ne voulais pas avorter tout de suite, je voulais être certaine qu’on puisse faire quelque chose et c’est vrai qu’Amélie m’a aidée à faire mon choix : donc je poursuis la grossesse et on fait ce qu’il faut après, ou j’avorte parce que c’est dangereux pour moi et ma personne et je fais un traitement par la suite.

Le contexte le plus difficile pour moi, c’était que j’ai appris que j’avais ce cancer du sein quand j’avais 35 ans, et ma sœur est décédée d’un cancer du sein à 34 ans. Donc c’était compliqué.

On se fait un “debrief” sur sa vie en fait, et on essaye de choisir la meilleure des solutions, sans penser à soi ! A ce moment-là, on ne pense pas à nous, on pense à ceux que vous laissez en fait. On sait à quel point ça peut être dur de rester, celle qui est partie est partie. Mais celle qui reste, c’est plus difficile pour elle. Donc je pensais plus à mes enfants et à mon mari, et je ne voulais absolument pas qu’ils vivent ce que moi j’ai vécu avec ma sœur. Donc Amélie m’a aidée. Beaucoup, oui…

AMÉLIE GESSON-PAUTE
Alors, on a toujours bien sûr des réunions pluridisciplinaires, la décision n’était pas que la mienne. Nous, d’un point de vue médical, on se soucie toujours de la patiente, et donc la décision de la prise en charge a été raisonnée. On a pu l’autoriser à poursuivre sa grossesse après une première étape chirurgicale puisque c’était une lésion plutôt à risque au début, pour après finaliser la prise en charge. Donc, tout de même une intervention chirurgicale au premier trimestre de sa grossesse.

MALIKA KACEL
J’ai eu une tumorectomie quand j’étais enceinte de deux mois. Par la suite, j’ai accouché le 19 avril, j’ai été opérée d’une mastectomie totale à droite le 19 juin. Et six mois après, donc sept mois après, elle m’a refait une mastectomie avec changement de prothèse à droite et une mastectomie de prophylaxie à gauche, que j’avais demandée aussi. Je ne pouvais pas vivre avec un sein à moi et un sein pas à moi.

Pendant une consultation, pour nous en tous les cas, on ne parlait pas que de la maladie, on parlait de tout plein de choses puisqu’on a quand même le même âge, on a une vie familiale, donc ça nous met plus à l’aise, je pense qu’elle met aussi à l’aise les patientes en parlant d’autre chose que du pourquoi on est là. Et on parlait de sport.

AMÉLIE GESSON-PAUTE
Ton mari aussi était très présent en consultation, pareil, lui aussi il est sportif, et donc il y avait des petites choses qui passaient. Et dans le cadre de sa reconstruction mammaire, qui n’a pas consisté en une seule opération, on s’est vues donc souvent.

MALIKA KACEL
Oui.

AMÉLIE GESSON-PAUTE
Jusqu’au jour où je me préparais pour le premier raid polaire féminin, qui s’est déroulé en janvier 2018 en Laponie finlandaise. Je me préparais à ce raid et c’était au moment où j’ai vu Malika en consultation, trois mois avant la préparation de ce raid. Je devais le faire avec une amie mais qui n’était pas sûre. Et inconsciemment je m’étais toujours dit mais sans le verbaliser : ça serait beau de le faire avec une patiente. Et je me rappelle, c’était en octobre 2017, donc dans ces trois mois avant mon départ pour la Laponie, j’ai vu Malika en consultation, tout allait bien, on devait se revoir je crois six mois après.

MALIKA KACEL
C’est ça.

AMÉLIE GESSON-PAUTE
Et puis la porte s’est refermée, et puis 24h, 48h se sont passées, et sans trop réfléchir, j’ai pris mon téléphone, parce que je t’avais parlé, que j’allais partir en Finlande et j’avais vu sans doute des étoiles dans tes yeux ! J’ai pris mon téléphone et je lui ai proposé spontanément.

MALIKA KACEL
C’est-à-dire, j’ai vu Amélie Paute sur mon téléphone, je me dis, qu’est-ce qui se passe ? Je l’ai vue il y a deux jours, tout allait bien, qu’est-ce qu’elle va m’annoncer en fait ? Donc on décrochant, elle me dit : bonjour, ce n’est absolument pas du tout professionnel, je vous appelle [rires] de façon privée.

Voilà ce que j’ai à te proposer, le raid en Laponie. Alors, on se vouvoyait encore à cette époque-là, donc elle me dit : est-ce que ça vous intéresserait de venir avec moi faire le duo du raid pour la Laponie ? Alors là, ni une ni deux, vraiment je n’ai absolument pas réfléchi, pas pensé ni à ma famille, ni à mes enfants, ni à mon organisation personnelle du boulot, je suis libérale, il me faut des remplaçantes, enfin, puis trois mois avant c’est très court ! Côté préparation physique heureusement pour moi j’avais une petite base parce que je suis sportive de base, je l’avais mis entre parenthèses mais j’avais repris un petit peu parce que j’étais à un an de ma dernière intervention, quasiment, et j’ai dit oui !

AMÉLIE GESSON-PAUTE
Il fallait anticiper pas mal de choses au niveau surtout technique, vestimentaire, parce qu’on ne court pas comme on court chez nous, et on a eu l’idée d’aller s’entraîner dans des entrepôts frigorifiques, et donc c’était à côté de Bordeaux, à température identique, à -25 degrés.

MALIKA KACEL
Ça nous beaucoup aidées. Notamment au niveau de la respiration, parce que ça saisit en fait, c’est un froid qui saisit les narines, la respiration, donc il faut apprendre à gérer la respiration…

AMÉLIE GESSON-PAUTE
On faisait un footing dans le congélateur géant.

On est parties cinq jours, avec trois jours d’épreuve. C’était un jour de « run and racket », c’est-à-dire qu’on a couru dans la neige avec des passages avec des raquettes. Le deuxième jour c’était « run and bike », un vélo pour deux, c’était très dur comme épreuve, et le troisième jour c’était « run and ski », avec du ski de fond, et différentes épreuves.

MALIKA KACEL
Et le parcours du combattant pour finir.

AMÉLIE GESSON-PAUTE
Alors moi, j’ai été très touchée d’amener Malika dans cette aventure parce que je pense que les conditions extrêmes ont joué. C’est à dire que c’était très difficile, physiquement. Souvent, c’était dur et dans cette difficulté, je me disais : dans quoi je l’ai embarquée ?! Et j’avais un immense sentiment de protection envers elle. Vraiment besoin de la protéger. Des fois je courais – quand on court, on pense à plein de choses – et j’avais souvent des images de bloc. Quand même ! Quand même, ce que je lui ai fait… Elle est là avec moi et j’avais vraiment un sentiment de protection. Moi je suis assez réservée en personnalité et là, j’ai été débordée. Vraiment.

MALIKA KACEL
Elle me l’a dit a posteriori, tout ça. C’est à dire que sur le coup, je ne m’en rendais pas compte, et surtout je voulais qu’on me voit comme une participante comme tout le monde en fait, et non pas comme la malade. C’était métaphorique vis à vis de ma maladie malgré tout, puisque si j’arrivai au bout c’était… Quand je suis arrivée au bout d’ailleurs, j’ai eu l’impression de revivre. J’ai eu l’impression de revivre, et je remercie Amélie, mais vraiment, de m’avoir emmenée dans cette folle aventure – parce que c’était une folle aventure ! J’avais besoin de sentir mon corps en fait. De sentir la dureté de tous ces challenges, mais qu’est-ce que c’était bon !

AMÉLIE GESSON-PAUTE
Le sport, par rapport au cancer, est très bénéfique à différents points de vue. Il est bénéfique avant pendant et après les traitements.

Avant, on sait que c’est une bonne hygiène de vie et donc on espère moins de facteurs de risque, ça diminue les risques. Pendant la maladie, ça aide aussi souvent à mieux tolérer les traitements, à être mieux, à être plus actifs, à sans doute prendre les choses aussi en main. Après, ce n’est pas non plus à la portée de tout le monde, j’en suis consciente. Et après la maladie, alors on est dans l’exemple, dans ce qu’on a fait avec Malika, c’est vraiment important. Et j’ai pas mal de mes patientes, également, qui sont revenues me voir pour des suivis, et qui m’ont presque dit en levant le doigt : moi aussi, j’aimerais !

MALIKA KACEL
Je suis privilégiée, j’avoue…

AMÉLIE GESSON-PAUTE
C’est vraiment a posteriori qu’on s’est rendues compte de cette relation médecin patient, de ce qu’on avait fait, de ce qu’on avait créé, et que ça avait été très fort.

MALIKA KACEL
Très fort oui, on sort du cadre du bureau de consultation, mais on reste une équipe thérapeutique, et c’est une forme de thérapie d’ailleurs. Ça l’a été pour moi pendant ces épreuves. Parce que le sport, quand vous êtes malade, vous gardez votre sociabilité, c’est votre échappatoire, vous déchargez toutes vos émotions, et vous pensez à vous. Le sport, c’est le seul moment… Moi, je faisais beaucoup de footing, et souvent on me disait, mais tu cours après quoi ? Mais je ne cours après rien, je me garde juste mon temps pour moi… Ces raids, qui sont des raids multisports, m’apprennent à ne plus avoir peur. Par exemple là on va en Croatie, j’aime courir, on va faire du VTT, je n’ai jamais fait du VTT de ma vie.

AMÉLIE GESSON-PAUTE
Ah bon ?! [rires]

MALIKA KACEL
Je me suis entrainée, par contre. En fait, vous retombez en enfance et vous refaites vraiment des choses que vous n’auriez jamais faites dans la vie… Après, c’est beaucoup de mental. On a la niaque en fait, après. C’est ça la maladie, ça vous donne une autre force, et ça vous aide à aller plus loin. Si je n’avais pas été malade, si je n’avais pas eu ce cancer, j’aurais été dans ma petite vie, tranquille, sans aller chercher plus loin, et là je m’oblige à aller chercher des challenges, des objectifs, et ça met un peu de piment dans sa vie finalement. Donc, je ne vais pas dire que j’ai été contente d’avoir eu cette maladie mais c’est un mal pour un bien, je suis différente.

AMÉLIE GESSON-PAUTE
C’est sortir de sa zone de confort.

MALIKA KACEL
Complètement, complètement.

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