Dr Krishna B. Clough – L’exercice de la chirurgie cancĂ©rologique et de la reconstruction

Entretien en juillet 2018

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Dr Krishna B. Clough parle de chirurgie cancérologique et de reconstruction mammaire | Paris | L'Institut Du Sein

DĂ©pister

Quel est le plus gros progrès en matière de cancérologie ? Le plus gros progrès c’est le dépistage, ce n’est pas le traitement. Le plus gros progrès en matière de cancer, c’est de dépister une tumeur à un stade tellement petit que le traitement chirurgical va se faire en ambulatoire, n’y aura pas de chimio, il n’y aura pas de traitements lourds. Donc le plus gros progrès, pour moi, pour les patientes, c’est le dépistage qui permet d’éviter les traitements lourds.

Donc si on peut mettre en place le traitement idéal, c’est une patiente qui se fait dépister très tôt d’un petit cancer non agressif, qui va avoir une chirurgie rapide, un peu de radiothérapie et pas de chimiothérapie.

La découverte du cancer

La période avant le diagnostic, c’est quelque chose qu’on ne voit pas nous, mais dont on voit les séquelles, dont on voit le choc, parce qu’en fait les patientes arrivent à nous avec un diagnostic. Mais elles nous racontent ce qui se passe avant, et ce qui se passe avant, on n’a vraiment pas envie d’y aller, parce qu’en fait, vous faites une radio et l’on vous dit : « il y a peut-être quelque chose » ; alors dans les meilleurs cas, on vous fait la biopsie le jour même, dans d’autre cas on vous fait revenir une semaine après, dans d’autres cas, on vous dit : « attendez un peu, on va vous refaire une examen et ensuite on va vous dire »… Cette période de « attendez un peu » peut durer 2-3 mois et donc il y a toute une période pré-diagnostic qui est une période particulièrement inquiétante, et les patientes que nous voyons nous à l’Institut du Sein sont des patientes qui ont eu un diagnostic de cancer, et donc évidement il y a toute une partie de ces patientes qui repartent rassurées.

Et donc il y a eu une espèce de pression mise sous la casserole, avec le couvercle de cocotte minute, et on voit des patientes qui arrivent avec ce passé de 2 mois où il y a des hésitations, on ne sait pas, donc je crois que toute la période pré-diagnostic, on n’en parle pas beaucoup, mais c’est un moment particulièrement désagréable et particulièrement anxiogène.
Donc on arrive, nous, à voir des patientes qui sont extrêmement inquiètes, non pas uniquement par le diagnostic, mais par tout ce qui s’est passé en amont du diagnostic, et ça c’est certainement une chose sur laquelle qu’il faut continuer à travailler pour réduire ces délais.

La consultation

La consultation de premier contact avec le chirurgien, c’est une consultation clé. C’est la consultation qui va contribuer à désamorcer une partie de l’angoisse qui est montée pendant les semaines qui ont passé. Et donc on parlait tout à l’heure du travail du chirurgien, de l’enseignement de l’activité chirurgicale au bloc opératoire, mais en fait pour moi le travail aujourd’hui, à mon âge, avec quelques décennies d’expérience, le plus important, le plus lourd, une fois que la technique chirurgicale est maîtrisée, une fois que la technique est acquise, c’est le contact, en particulier lors de cette première consultation.

Je dis toujours à mes élèves que la patiente vient en consultation, elle a la mort sur les épaules et physiquement ça se sent, au sens propre, vous entrez dans une salle de consultation, la patiente vous rejoint, dans certains cas elle a peur, elle transpire, et c’est une odeur très particulière d’angoisse de mort, qu’on reconnaît… Et je dis aux équipes qui travaillent avec nous : notre travail, une fois que la technique est maîtrisée, c’est qu’elle rentre avec la mort sur les épaules mais qu’elle ressorte avec le sourire, et ça peut prendre une demi-heure, ça peut prendre une heure, et toutes mes patientes se plaignent parce que je suis toujours en retard dans mes consultations – donc c’est un running gag à L’Institut du Sein, je suis en retard en permanence –, mais tant que je sens la peur, je ne vais pas la laisser partir.

Le choix du traitement

Traiter un cancer chirurgicalement il y a 30 ou 40 ans, c’était quand même lourd, ça laissait des séquelles.

Et donc mon intérêt lors de ma formation a été de me former parallèlement en chirurgie du cancer et en chirurgie réparatrice et esthétique, pour essayer d’amener, dès le moment où l’on va traiter le cancer, tous les artifices, toutes les techniques de chirurgie réparatrice, de façon d’une part à reconstruire le sein lorsque l’on est obligé de l’enlever, mais surtout – et ça a été notre pôle d’excellence et d’innovation –, à permettre aux femmes qui ont une indication limite où l’on pourrait peut être garder leur sein – et où en fait dans beaucoup d’équipes, on l’enlève –, permettre à ces femmes de sauver leur sein grâce à des techniques de chirurgie plastique qu’on utilise tout de suite.

Le choix du traitement, il est souvent très calibré, on a la chance d’avoir une pathologie connue avec énormément de publications, énormément de recherches, donc en fait le choix il est dans 90 à 95 % des cas défini, uniforme ; et si vous avez un cancer du sein d’un certain type, que vous soyez à Paris, à New York ou à Milan, on vous proposera le même traitement, heureusement. C’est le résultat de 40 ans de recherches qui permettent de proposer un traitement optimum.

Et puis il y a 5 % des cas, peut-être un peu plus, où vous hésitez, où on ne sait pas très bien, et à ce moment-là c’est la force de l’équipe. Donc là il y a deux solutions : il y a le cowboy solitaire, le chirurgien seul qui pense que tout seul il a la réponse, et puis il y a l’équipe, ce que l’on appelle une réunion de concertation, qui se réunit toutes les semaines, où pour tous les cas mais en particulier les cas difficiles, on va mettre toutes les intelligences ensemble pour essayer de définir pour cette patiente donnée quelle est la meilleure solution, lorsque l’on a un choix entre 1, 2 ou 3 solutions.

Et ça, c’est aussi la force de notre spécialité que de dire : quand je ne sais pas, je pose la question à l’autre, et on prend du temps, quelques jours parfois, pour la patiente, ce qui peut être anxiogène, mais on lui explique, on lui dit : « voilà vous êtes dans une zone grise, ça ne veut pas dire que c’est grave, ça veut dire qu’il y a un choix et que je ne veux pas choisir seul, parce s’il n’y a que moi qui choisis, ça sera probablement moins pertinent que s’il y a toute mon équipe ».

Et c’est comme ça que dans ces cas indéterminés, on fait une proposition d’équipe et c’est la force des grandes équipes de pouvoir avoir plusieurs personnes de très haut niveau qui permettent de donner à la patiente la meilleure solution.

L’équipe thérapeutique

L’équipe, c’est tous les praticiens qui pourraient prendre en charge la patiente à un moment : donc, les piliers thérapeutiques, c’est le chirurgien, le radiothérapeute et le chimiothérapeute mais il y a aussi les radiologues, il y a aussi les spécialiste de l’analyse des tumeurs au microscope, il peut y avoir un psychologue ou un psychiatre dans des cas où l’état psychique de la patiente va nous orienter dans une solution plutôt qu’une autre.

Et puis il y a la patiente, à qui à un moment, on va dire : « voilà, il y a un choix ». Quand le choix aboutit à une solution univoque, on va dire : « voilà ce que nous vous proposons ». Et dans un certain nombre de cas, on va lui dire : « nous hésitons, et, voilà ce qu’on vous propose ». Il faut le faire le moins souvent possible parce qu’en fait on assiste aujourd’hui, je trouve, à une espèce de transfert de la responsabilité de la décision de l’équipe médicale vers la patiente, ce qui est terrible… « Est-ce que vous voulez vous faire enlever le sein ou est-ce que vous voulez garder le sein ? » Moi, je vois des patientes qui viennent nous voir en deuxième avis en disant : « Moi, je suis perdue, on m’a dit vous pouvez garder le sein, vous pouvez enlever le sein… » Il faut le faire le moins souvent possible, donc c’est très rare, mais dans un certain nombre de cas, le choix persiste et il y a des avantages et des inconvénients aux deux solutions, et on dit : « voilà, on en est là et qu’est-ce que vous en pensez ? Et qu’est-ce que l’on peut faire pour vous intégrer dans ce choix. »

Alors quand je dis ça, on a l’impression qu’on hésite toute la journée alors qu’en fait encore une fois, dans 95% des cas, on a une solution en consultation, en face-à-face avec la patiente, pour ne pas dire dans 98% des cas.

Guérir

Guérison c’est mon mot. Je déteste rémission. Je sais qu’il est employé tout le temps, je sais qu’il est publié, je sais que les patientes le disent elles-mêmes, mais encore une fois cancer du sein = 80% de guérison. Donc ça veut dire que si vous dites à tout le monde que vous êtes en rémission, vous allez dire à 80% de femmes qui vont guérir qu’elles sont en rémission.

Et moi je préfère dire à 20% des femmes qui ne vont peut-être pas guérir qu’elles sont guéries, tout en les surveillant de façon qu’on n’ait pas de perte de chance dans ce mot de guérison. Moi, le jour où vous m’enlevez un poumon parce que j’ai un cancer du poumon, et que vous me dites Mr Clough : « vous êtes en rémission », je vais vous regarder et vous dire que je ne suis pas venu pour ça moi, je suis venu pour être guéri et j’emploie le terme guérison à chaque fois que la guérison est très probable ; si j’ai une patiente qui arrive avec malheureusement deux tumeurs dans le foie et une dans le poumon, je ne vais plus employer le terme de guérison. Mais tant que la maladie n’a pas disséminé, mon obsession c’est que la patiente soit persuadée que l’on va la guérir, parce que je pense que cela contribue si ce n’est à sa guérison, au moins à son bien-être et au bien-être de tout l’entourage.

Vous pouvez être le meilleur spécialiste du monde, si vous n’êtes pas capable, de donner, de transmettre la force de vivre, la force de passer au travers de tout ce que l’on va leur imposer quand même, parce que c’est lourd, c’est très lourd dans les cas de tumeur agressive, c’est très lourd, eh bien, vous avez raté une partie de votre métier.

Donc, certains parlent de psychologie, ça doit exister, d’autres parlent d’accompagnement, en fait on va vous donner pour que vous traversiez et que vous sachiez que l’on est là avec vous dans cette traversée.

La fin du traitement

Le revers de la médaille de cet accompagnement, c’est quand les traitements s’arrêtent. Parce qu’il y a un moment très particulier de la relation thérapeutique où l’on dit à la patiente, alors voilà vous avez eu votre chirurgie, vous avez eu votre chimiothérapie, vous avez eu votre radiothérapie, donc ça fait 9 mois, 10 mois que l’on se voit tout le temps, et puis : « au revoir, tout va bien ». Et là si on n’a pas préparé la patiente, et malheureusement on est tellement dans le combat qu’on ne le fait pas toujours, on ne prépare pas. La patiente elle dit : « mais vous me dites au revoir ? Cela fait 9 mois que je suis avec vous et vos équipes et je ne vais plus vous voir ? » « Si si, vous allez me voir dans 6 mois ou dans 8 mois ». Et là, pffff, il y a un moment où la patiente rentre chez elle, alors il y a l’entourage qui dit : « c’est formidable, tu ne vois plus tes médecins, c’est formidable, c’est génial on va pouvoir repartir en week-end, Ah et puis tu vas pouvoir rebosser ». Et là il y a un grand vide qui est : mais j’ai été portée par ces gens qui m’ont aidée, qui m’ont accompagnée, et puis d’un seul coup ils ne sont plus là tous les jours et c’est un moment étonnamment, paradoxalement, de détresse pour certaines patientes, parce qu’elles se sentent abandonnées, et on a appelé çà l’abandon thérapeutique.

Et il est obligatoire, parce qu’on ne va pas aller chez elles tous les jours, parce qu’on a d’autres choses à faire, ensuite parce qu’il faut s’occuper des autres et ce passage de témoin entre « vous êtes dans le combat du cancer » et « vous reprenez une vie normale », il y a quelque chose que l’on n’a pas su faire, que l’on n’a pas su instaurer et sur lequel il y a certainement des améliorations à faire…

Et après ?

Vous avez mené votre combat, et encore une fois ça peut durer 9 mois, ça peut durer plus longtemps et vous retournez dans une vie qui est la vie d’avant et où autour de vous, on a envie que ce soit comme avant, mais moi j’ai plein de patientes qui me disent : « Mais je ne peux pas, je ne peux pas faire comme avant ».

Quand je vois des patientes lors de la première consultation qui me disent que c’est terrible, qui sont dans la détresse de l’annonce et qu’on arrive petit à petit, avec le temps qu’il faut, à la faire redescendre dans la réalité qui est que quand même que dans la grande majorité des cancers du sein sont guéries, parfois on peut initier cette petite phrase en disant : « Ecoutez je vais vous dire quelque chose, j’aurais jamais osé vous le dire il y a 10 ans mais je vais vous dire ce que l’on me dit à cette place là, dans ce bureau sur cette chaise-là, 1 ou 2 ans après. Certaines patientes qui ont eu la même chose que vous, me disent : « Mr Clough, ce cancer il m’a rendu service » et l’idée de dire à une patiente au moment de la détresse que finalement d’autres, qui ont eu la même chose qu’elles, ont suffisamment de recul 1 ou 2 ans après pour dire : il s’est passé quelque chose, et le cancer c’est un accident de la vie.

Je dis à toutes mes patientes : le cancer c’est un accident de la vie ; vous auriez pu avoir un accident de voiture, vous auriez pu avoir une fracture du bassin, perdre un enfant, des choses monstrueuses… Le cancer, ce n’est rien qu’un accident de la vie et il y a un après ; et notre boulot à nous, c’est que pendant l’accident on fasse les pompiers soft, le moins agressifs possible, et que l’on prépare à la sortie de l’accident.

Je ne sais pas si cela rend plus fort tous ceux d’entre nous qui ont eu un accident de la vie, je ne pense pas qu’on se sente plus fort, mais je crois que ça aide à voir votre vie d’une façon plus globale que ce que vous imaginiez avant. Vous êtes moins dans le mono-but, vous savez que des accidents arrivent, vous savez que votre vie va être changée, vous savez qu’il y a un avant, qu’il y a un après. Je ne suis pas sûr qu’on soit plus fort après, on est différent.

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