Laure GUÉROULT ACCOLAS – « Mon rĂ©seau Cancer du Sein»

Entretien en octobre 2018

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Mon réseau Cancer du sein, partagé par Laure GUEROULT | Paris | L'Institut Du Sein

J’ai été soignée entre la France et la Turquie. Au départ c’était un vrai questionnement. Mes amis en France m’ont dit : « mais tu ne vas quand même pas aller te faire soigner en Turquie » de l’air de dire « c’est le tiers-monde, c’est pas possible ». Et en fait, ce qui m’a rassurée, c’est que j’avais la chance d’avoir un oncle radiothérapeute qui avait eu l’occasion de beaucoup voyager et travailler avec des équipes internationales, et qui m’a dit : « mais tu sais, y’a aucun problème, la radiothérapie tu pourras la faire en Turquie, ils sont largement aussi bien équipés que dans nos centres français, c’est très standardisé, y’a pas de soucis ».

C’est en rentrant en France que j’ai réalisé que finalement, ma situation était très proche des femmes qui vivent en grande banlieue, à la campagne, dans des petites villes, et que finalement cet isolement, cette difficulté à trouver du soutien près de chez soi, on est très nombreuses à la retrouver, et c’est pour ça que du coup on s’est lancés dans ce projet « mon réseau cancer du sein ».

« Mon réseau Cancer du Sein », pour quoi faire ?

En fait on est très nombreuses à se dire : mais si j’avais su, je serais allée là, j’aurais fait telle ou telle activité, je serais allée faire tel soin, ou telle chose qui m’aurait aidée. Ca va de faire peut-être une dermo-pigmentation pour avoir un joli regard, garder un profil de sourcil, jusqu’à découvrir des associations qui font des cafés, la sophrologie, qui permettent des groupes de paroles ou des choses comme ça.

Du coup, on s’est dit : « mais il faut faire quelque chose pour faciliter l’accès à ces infos concrètes, parce qu’on est trop nombreuses à passer à côté ». Et l’autre chose que j’ai vraiment ressentie aussi, c’est le fait que d’échanger avec d’autres patientes qui sont un peu plus loin dans le parcours, qui ont repris le travail, qui ont peut-être changé des choses dans leur vie, mais qui ont le sourire, qui vont bien, ça donne beaucoup d’espoir à celles qui sont en plein dans le traitement et qui sont quand même très déboussolées par la réalité de cette maladie, qui vient forcément bouleverser vos projets.

Entre patientes, on se comprend, on n’a pas besoin d’expliquer qu’on a un cancer du sein : on a toutes un cancer du sein. Et on peut parler de tout sans tabou. De ses peurs, de ses questions, par rapport au travail, aux enfants, au conjoint, à comment gérer la fatigue, certains effets secondaires, certains moments où on se déteste, d’autres moments où on est douce avec soi-même. On est parfois très dure en fait. Par exemple, c’est aussi très difficile de demander de l’aide, on est souvent en plein dans l’action de sa vie, et généralement on fait face à plein de choses, et d’un coup on se sent un peu désemparée et on n’a pas forcément l’habitude de demander pour soi-même de l’aide, et de pouvoir échanger avec d’autres qui ont mis en place, qui ont dit « mais si, tu peux faire une pause, demander à être soutenue pour telle ou telle chose », ça peut vraiment être utile.

Donc il y a cette période de traitement, qui évidemment est une porte d’entrée importante, mais il y a beaucoup aussi la période dite de « l’après-cancer » où en fait, on quitte le soutien exceptionnel des équipes de soins, avec lesquelles on a souvent tissé des liens forts, et à ce moment-là on se sent un peu décalée de tout le monde ,forcément, plus loin de l’équipe de soins, pas en phase avec ses proches, ses amis, ses collègues de travail, parce qu’en fait on a le contrecoup, un effet un peu boomerang, et on ne sait plus très bien ce qu’on veut, où on veut aller et à quel rythme. Il y a un décalage de ressenti, les proches sont là à vous dire « Maintenant c’est champagne », « on repart comme avant, c’est fini, tu es guérie », et en fait là on réalise que on a trois cheveux sur le caillou, des cicatrices, plus de sein, ou un bout de sein… On ne sait pas encore si on s’aime encore, on ne sait même plus si on est en phase avec son conjoint, on ne sait plus ce qu’on veut faire comme métier, si on a l’énergie de le reprendre.

Donc on a besoin de plus accompagner cette période, et ça commence à se faire, avec des programmes par exemple d’activités physiques, d’accompagnement dans tout ce qui est diététique nutrition, on va parler de tout le bénéfice, par exemple à bouger, à se mettre à de l’activité physique, même si on se sent fatigué : c’est très facile à dire, c’est extrêmement difficile à mettre en œuvre, c’est compliqué de trouver ce déclic, de se dire : je vais me lever de mon canapé, je vais y aller à ce fameux cours d’activités, ou à cette marche nordique, ou à ce Qi-Kong ou autre activité qu’on ne connaît pas du tout, pour la plupart, avant d’être passées par la maladie.

« Mon réseau Cancer du Sein », pour quels utilisateurs ?

Sur « Mon réseau Cancer du Sein » on est un peu plus de 5 500 personnes qui se sont inscrites à ce jour, qui utilisent le réseau. Quasiment 90% sont des patientes qui se sont inscrites, on peut s’inscrire également en tant que proche – l’idée c’était à ce moment-là de pouvoir accompagner –, ou les enfants d’une patiente plus âgée, ou une amie, pour accompagner la personne malade. Donc les aider, quel que soit l’endroit où ils habitent, là aussi à trouver des infos ou des adresses utiles pour la patiente. Les proches sont souvent désemparés aussi par la maladie, et il faut les aider à nous aider.

« Mon réseau Cancer du Sein », comment ça marche ?

C’est en réfléchissant aux besoins qu’on avait dans notre quotidien qu’on s’est dit : « ce qu’il faut faire, c’est un réseau social dédié, qui permette de garder , si les personnes le souhaitent, complètement leur anonymat, on navigue sous un pseudo, c’est séparé des autres réseaux sociaux parce que pour les personnes, par exemple, qui travaillent, elles n’ont pas du tout envie de « tacher » entre guillemets leurs cyber-activités de la maladie ; donc pour beaucoup de femmes, c’est très important de pouvoir mettre sa maladie quelque part sans que ça vienne interférer avec leurs autres activités sociales et professionnelles.

Et puis donc, ça permet un échange virtuel, ça permet aussi de se retrouver à des événements, de se rencontrer, de se faire des cafés, de tisser des liens spécifiques puisqu’on peut échanger dans la communauté mais aussi par sous-groupes, selon des thématiques ou des problématiques particulières, et également en messages privés. Voilà, et donc au-delà du côté social du réseau social, il y a toute une série de dossiers d’informations, un annuaire, et un calendrier des événements dédiés aux patientes.

L’application mobile

A peu près deux ans après le lancement de « mon réseau cancer du sein » en 2014, on a lancé en octobre 2016 l’application mobile du site. Cela a été déjà une première révolution dans l’usage de ce réseau social, parce qu’on a gagné en proximité de façon considérable, c’est-à-dire que l’appli a permis d’être avec la patiente dans sa poche, quand elle veut, ça peut être pendant une période d’hospitalisation, pendant une chimio mais aussi les premières vacances, la cure thermale, un joli moment partagé en famille ou avec des amis. Donc ce côté réseau social s’est beaucoup développé, le côté proximité, échange de photos, de bonnes nouvelles, beaucoup d’encouragements. L’application est devenue vraiment le premier vecteur d’utilisation du réseau social.

Vik, un compagnon virtuel

En 2017 on a rencontré une start-up qui lançait le premier compagnon virtuel, dans le cancer, « Vik » : on a apporté notre expérience, notre expertise et nos besoins patients à travers des focus groupes et des tests d’utilisatrices du réseau, au petit compagnon qui s’appelle « Vik sein ». L’intérêt de ce projet c’est qu’il répond à des besoins différents du réseau social. Là, je ne vais pas échanger avec d’autres patientes, je vais poser mes questions à une intelligence artificielle, à un compagnon virtuel, c’est un système de conversation, je n’ai pas besoin de créer de compte, c’est juste un ami de plus sur Facebook Messenger. Et c’est factuel, ça peut être des périodes par exemple au début du diagnostic, je n’ai pas forcément au début envie de parler avec d’autres patientes, il y a souvent un temps de digestion du diagnostic, mais par contre j’ai besoin d’informations.

Et il y a une autre période dans l’étape de vie des patientes où il a semblé qu’un réseau social ne répondait pas à toutes les attentes, c’est la maladie métastatique. Là en fait, j’ai une maladie à vie, chronique, et donc il va falloir qu’elle prenne une place, non pas importante parce que je me mets entre parenthèses pour me soigner avec mon équipe médicale pendant un ou deux ans, là, je vais devoir faire à ce cancer la plus petite place possible, et le plus longtemps possible évidemment, et donc le petit compagnon virtuel là, il peut répondre à tout ce qui va être rappel de prises, informations sur ce que c’est qu’une « cimentoplastie », retrouver comment prendre ses médicaments, il y a beaucoup de choses très pratique, et ça permet de soutenir les personnes, même si elle veulent que leur maladie soit un petit peu au rencard.

Une interface avec les médecins

A notre connaissance on est le seul réseau social créé par des patients pour des patients, avec une modération de patients formés, patients dit experts aujourd’hui, avec le soutien d’un comité scientifique magnifique, qui nous permet vraiment d’échanger aussi. Ce qui est très intéressant avec cette collaboration avec les soignants, c’est que les médecins nous disent : « Nous on aurait envie que nos patientes elles puissent retrouver ça ou ça comme informations, on perd trop de temps, on n’a pas le temps en consultation, ça serait utile qu’on retrouve telles et telles informations ».

Typiquement sur la reconstruction du sein, c’est un processus de réflexion, il y a beaucoup de techniques, c’est compliqué, c’est pas en une consultation qu’on y arrive, donc retrouver des vidéos, des films, des témoignages, ça permet à la personne de se faire un peu une idée. Et dans un autre sens, ça permet à nous de remonter des préoccupations du terrain à notre comité scientifique, et de petit à petit enrichir le réseau de contenus qui correspondent à ces préoccupations.

Et donc d’être dans un dialogue, d’être à l’interface, et ça c’est passionnant, d’avoir la chance de pouvoir communiquer et de travailler avec tout le monde. C’est une des raisons pour lesquelles on a choisi d’être une association de patients et proches, c’est que ça nous permet d’être au plus près des patients, mais aussi de pouvoir échanger avec les soignants, et les professionnels.

Un réseau actif dans la société

En se développant, en travaillant avec différentes structures de soins, d’autres associations et cetera, on est amenés à finalement rentrer dans le jeu de la démocratie sanitaire, à devoir s’impliquer, participer. Par exemple on donne la parole : plus de la moitié des patientes sur notre réseau habitent en région. On ne les entend jamais, ces femmes. Avoir des enquêtes qui donnent la parole à des personnes qui habitent dans des endroits beaucoup plus isolés, qui ne sont pas forcément dans des grands centres spécialisés, c’est utile. Du coup ça nous fait avancer, on fait partie des associations qui se sont bougées pour lancer la Journée Nationale du Cancer du Sein Métastatique, en disant : « en fait ce n’est pas normal qu’on sache pas combien il y a de femmes concernées par la maladie métastatique, qui vivent avec cette maladie ».

On nous donne les chiffres de nouveaux cas, et le nombre de décès, et on ne sait pas véritablement si il y a 50, 60, 80 000 femmes qui vivent avec un cancer du sein métastatique aujourd’hui, et on a besoin de mieux les écouter, parce que leurs parcours de soin sont très différents. Généralement, elles ont des thérapies orales pendant longtemps, elles vivent avec tous ces traitements ambulatoires loin de leurs centres de soins et elles sont très seules, et elles ont des besoins sociaux, professionnels, particuliers. Bref, il y a vraiment à militer.

On commence à rentrer dans le débat et à rencontrer quelques députés et peut-être à participer à une réflexion, mais notre idée est vraiment plutôt de se faire écho du quotidien des patients et de participer avec les autres qui ont déjà des réseaux, certainement pas de le faire toute seules, ça n’a pas de sens.

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