Dr ISABELLE SARFATI – La reconstruction après un cancer du sein

Entretien en juillet 2018

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Interview du Dr Sarfati : sur la reconstruction Mammaire | Paris | L'Institut Du Sein

Le plus souvent j’arrive après la bataille. C’est-à-dire que je vois arriver en consultation quelqu’un qui a fini ses traitements, et qui vient pour une reconstruction. À ce moment-là, c’est toujours assez émouvant pour moi le début de la première consultation : c’est que en cinq minutes, quelqu’un va me raconter son parcours de soins mais aussi les interactions de ce qui lui est arrivé avec sa vie, à quel moment de sa vie elle a découvert son cancer, en quoi ça l’a arrêtée, qu’est-ce qu’il s’est passé, les relations qu’elle a nouées avec le corps médical, comment ça s’est passé. Souvent elles parlent de médecins que je connais, donc je vois à travers ce qu’elles racontent, je reconstitue un petit peu ce qui s’est passé qui en général n’est pas exactement ce qu’elles me racontent mais c’est comme ça qu’elles l’ont vécu. Et en même temps, elles me racontent leurs difficultés ou absence de difficultés, de vivre avec des petites déformations sur le sein ou une mastectomie, leur relation avec leur corps, leur relation avec la nudité. Ca, ça a lieu en cinq-dix minutes, parce qu’en fait une consultation, ça va durer entre une demi-heure et trois quarts d’heure, et que l’essentiel de la consultation pour elles, ça va être de raconter quelles sont les techniques qu’on peut utiliser, lesquelles existent, lesquelles sont possibles sur elles, entre lesquelles elles peuvent choisir, et les avantages et les inconvénients des différents modes de reconstruction. Donc on ne peut pas rester extrêmement longtemps sur ce qui s’est passé avant, mais c’est dans la manière de raconter comment elles ont vécu ça et comment ça s’est intégré à leur vie, que moi je vais chercher ce qui va être le plus adapté à elles dans le mode de reconstruction.

J’écoute aussi les attentes, c’est-à-dire que tout le monde n’attend pas la même chose d’une reconstruction. Il y a des patientes qui attendent d’une reconstruction que ce soit comme avant, ce qui est assez difficile. Il y a des personnes qui n’aimaient pas leurs seins du tout avant, et qui attendent d’une reconstruction que ce soit mieux qu’avant. Etonnamment, c’est souvent assez simple, parce que quand des femmes ont des seins qui étaient assez moches avant et qu’elles n’aimaient pas, c’est assez facile souvent d’améliorer les deux. Il y a des personnes qui attendent d’une reconstruction uniquement une aide fonctionnelle, c’est-à-dire de pouvoir s’habiller sans que ça se voit, mais qui ne sont pas prêtes à faire plusieurs étapes de reconstruction afin d’avoir le résultat le plus parfait possible. Donc c’est assez important au départ d’entendre ce que la personne attend de la reconstruction.

Autant en thérapeutique, les médecins font des ordonnances, en pratique, on ne donne pas le choix des traitements aux patientes : on leur dit voilà, l’idéal dans votre cas c’est de faire tel et tel traitement, c’est ce qu’on vous prescrit. Ensuite tout est discutable, mais quand même on est guidés par le fait de sauver la vie. Moi je suis totalement optionnelle. Moi, je dis : voilà, on a un éventail de possibilités à vous proposer, voilà comment ça va se passer, ce n’est pas moi qui vous prescris une reconstruction, moi, je suis à votre disposition pour reconstruire, ça change la demande et le mode relationnel. Je ne suis pas dans une position thérapeutique.

 

UN ARSENAL DE RECONSTRUCTION

Schématiquement, il y a deux modes de reconstruction possibles, mais en fait, à partir de ces deux modes de reconstruction, il y a plein d’hybrides possibles. Pour reconstruire un sein, on peut utiliser simplement un implant, ça nécessite quand même que les tissus soient suffisamment laxes pour pouvoir recouvrir un implant et épouser correctement la forme de l’implant. On peut aussi faire appel à des matériaux de la patiente elle-même, on peut utiliser le ventre c’est-à-dire en général c’est un lambeau libre, on prend la peau, la graisse du ventre, on prend des vaisseaux qui nourrissent cette peau et cette graisse, et on va transférer ces tissus pour refaire un sein. Et enfin, il y a le lambeau du grand dorsal, c’est-à-dire qu’on prend une partie de la peau, de la graisse et du muscle du dos qu’on laisse attachée par un pédicule vasculo-nerveux dans l’aisselle, donc ça part du dos et ça pivote pour repasser devant ; et si la personne a suffisamment de tissu dans le dos pour avoir un volume équivalent au sein de l’autre côté, on n’est pas obligé de rajouter une prothèse. Le plus souvent, on fait mixte, c’est-à-dire qu’on met une prothèse pour faire une partie du volume et le lambeau du dos pour faire les tissus de couverture et une partie du volume.
Il s’ajoute à ça ce qu’on appelle les « fillings », c’est-à-dire qu’on est capable maintenant d’aller prélever de la graisse quelque part par liposuccion, et d’utiliser cette graisse, en la réinjectant ailleurs. Les résultats des reconstructions ont été transformés par les « fillings », parce que devant une reconstruction donnée, le fait de pouvoir prendre de la graisse ailleurs et d’aller resculpter par-dessus pour affiner la forme, ça nous a donné des ailes, c’est-à-dire qu’on est capable à partir d’une reconstruction médiocre d’obtenir un très bon résultat grâce à la graisse. Donc entre les implants, les lambeaux, que ce soit le dos ou le ventre, et la graisse qu’on peut utiliser par liposuccion, on a quand même un arsenal thérapeutique qui nous permet d’avoir des reconstructions d’assez bonne qualité.

Il faut envisager la reconstruction comme une robe sur-mesure. C’est-à-dire qu’on a une première intervention le plus souvent qui fait les formes, les volumes, la symétrie et puis ensuite on fait des rendez-vous de bilan : c’est-à-dire on regarde le résultat. Soit c’est très bien et il ne nous restera plus qu’à faire l’aréole et le mamelon mais ça, ça a lieu sous anesthésie locale, le plus souvent au cabinet. S’il y a des petits défauts, on peut faire des améliorations, et c’est là qu’on utilise énormément la graisse, des changements de prothèse, qui nous permettent de passer d’un résultat acceptable à un très bon résultat.

 

L’ARÉOLE ET LE MAMELON

Il y a plusieurs techniques qu’on peut utiliser pour faire une aréole et un mamelon. Schématiquement, l’aréole c’est une pastille, c’est rond, avec des couleurs variables d’une personne à l’autre. Il y a deux techniques pour faire une aréole. Soit on utilise des tatouages, et maintenant on est capable de faire des dragons avec des fleurs etc., donc on est capable de faire des aréoles rondes en copiant à peu près la même couleur que l’autre côté ; sur des aréoles claires on tatoue en général les deux côtés et pas un seul côté, parce qu’autant les couleurs foncées sont assez faciles à imiter, autant les aréoles claires, c’est difficile d’avoir exactement la même couleur. On peut aussi utiliser des greffes de peau qui le plus souvent sont prélevées dans le haut de la cuisse, dans l’aine.

Pour le mamelon, il y a plusieurs techniques possibles aussi. En gros, soit le mamelon de l’autre côté est assez volumineux et on en prend un petit bout, on ne voit absolument pas le prélèvement et on va faire le mamelon de l’autre côté en greffant le petit bout, c’est une greffe qui marche très bien et se déroule très facilement. Soit il n’y a pas suffisamment de volume sur le mamelon de l’autre côté, ou la personne ne veut pas toucher au mamelon de l’autre côté, et à ce moment-là on fait ce que nous on appelle un petit lambeau local, c’est-à-dire qu’on utilise la peau de l’aréole, qu’on l’enroule sur elle-même pour faire un mamelon, et ensuite on fait une greffe de peau qui est prélevée dans l’aine pour faire l’aréole. Et on a enfin une troisième technique possible pour le mamelon, c’est d’utiliser un petit peu des petites lèvres, au niveau du sexe, et on va les greffer pour faire un mamelon, et ça fait des mamelons qui sont assez bien, qui ont une bonne couleur.
Autant la première intervention de reconstruction est une intervention assez classique, avec en général 48h d’hospitalisation, c’est rare que les gens restent plus de 48h en clinique après une reconstruction, autant les temps de retouches c’est quasiment toujours très léger et de l’ambulatoire, parce que tout est fait. Ce qui est difficile c’est de faire une loge, des contours, un volume. Une fois que c’est fait, les retouches, c’est de la chirurgie très légère, moi j’opère le vendredi en retouches, les gens rentrent le vendredi matin, ils sortent le vendredi après-midi, ils sont au travail le lundi, parce que ce n’est pas de la chirurgie agressive.

 

LA RECONSTRUCTION PRÉSENTE-T-ELLE DES RISQUES ?

Il a été démontré que la reconstruction ne gênait pas la détection des récidives en cas de cancer du sein, ne provoquait pas de récidives, ne gênait pas les traitements si jamais on découvrait qu’il y avait une récidive derrière, donc c’était assez inoffensif. Rien ne s’oppose de faire une reconstruction mammaire en cas de cancer métastatique. Et beaucoup de femmes en font. Pour autant, c’est de la chirurgie, ça se passe au bloc opératoire, il y a des anesthésies, c’est un peu agressif quand même pour le corps même si c’est une chirurgie très superficielle, c’est un parcours, des rendez-vous, du post-op, ça se gère.

 

RECONSTRUIRE … OU PAS ?

En gros, on sait qu’il y a 30% des femmes qui ont fait une mastectomie qui se font reconstruire. La majorité des femmes qui ne se font pas reconstruire le font pour des raisons financières. C’est que la reconstruction, d’abord ça coûte relativement cher. Bien que ce soit pris en charge par la Sécurité sociale, la majorité des plasticiens pratiquent des dépassements d’honoraires, il y a très peu de plasticiens dans le service public, ce qui fait qu’il y a au moins un an d’attente pour avoir une reconstruction. Il y a aussi des raisons d’éloignement géographique, c’est-à-dire que des cancérologues en France et des spécialistes du cancer du sein il y en a beaucoup, mais des plasticiens spécialisés en reconstruction mammaire, il n’y en a pas beaucoup, c’est essentiellement dans les grandes villes, et faire une reconstruction nécessite plusieurs étapes, ça signifie que pour quelqu’un qui habite loin de la personne qui peut faire la reconstruction, ça va lui prendre beaucoup plus d’énergie.

Dans le choix de la chirurgie plastique et esthétique, ce choix-là peut être vécu comme une arme de liberté, c’est-à-dire la liberté de reconstruire, et comme une forme de soumission, c’est-à-dire se soumettre à des normes sociales, culturelles, qui fait qu’on doit avoir deux seins et qu’on doit reconstruire. C’est important que ce ne soit pas une obligation. Et que ce soit un choix assumé.

 

UNE RECONSTRUCTION PLUS GLOBALE

Je reste souvent assez proche de mes patientes parce que la reconstruction mammaire ça évolue pas mal avec le temps, ça évolue pour plusieurs raisons. D’abord on va cohabiter souvent avec un implant, donc il y a de la maintenance sur l’implant, il y a de la surveillance de l’implant qui n’est pas très contraignante parce qu’elle se confond avec la surveillance des seins. Mais il y a aussi de la surveillance esthétique, c’est-à-dire que quand une femme prend dix kilos ou perd dix kilos, ça va modifier la symétrie de la reconstruction, donc on va s’adapter à la nouvelle réalité. Dans le temps, parce que les seins naturels tombent avec le temps alors que le sein reconstruit reste assez identique, ne bouge pas beaucoup dans le temps, on a une symétrie qui bouge avec le temps et qu’il faut suivre. Et puis ensuite il se crée souvent entre les patientes et les plasticiens une relation de confiance et d’esthétique qui fait que la reconstruction mammaire est souvent la porte d’entrée dans quelques autres petits gestes esthétiques. Il est assez fréquent que quelqu’un qui vienne faire une reconstruction mammaire me dise : pendant que vous y êtes, est-ce que vous ne voudriez pas faire, je ne sais pas, une petite liposuccion du menton, est-ce qu’on peut faire quelques injections de médecine esthétique ? C’est une reconstruction du narcissisme qui est beaucoup plus globale que la reconstruction stricto sensu du sein, et ça va plus loin. C’est de se ressentir belle comme avant, une jolie femme avec des cheveux, un sein et cetera. Brutalement on a pris un coup de vieux, on ne se reconnaît pas bien, on a quelquefois perdu un sein, et la reconstruction qui se fait est une reconstruction plus globale, où finalement on ne s’occupe pas que du sein mais aussi des cheveux, de l’état de la peau, de se retrouver : ça aide à se retrouver, pas que sur le sein.

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