Portrait de chirurgien – Dr Krishna B. Clough, chirurgien, cancérologue et plasticien
Entretien en juillet 2018
ÊTRE CANCÉROLOGUE
J’ai démarré médecine pour faire de la recherche fondamentale. J’avais envie de participer au grand mur de la connaissance et je ne m’imaginais pas du tout gérer des patientes face à face. J’ai fait du labo jeune étudiant, un an, et j’ai réalisé que ce n’était pas du tout ça, que je voulais être en contact avec du dur. Puis, très vite, je me suis aperçu que ce qui m’intéressait, c’était la chirurgie parce que vous avez un rapport très tactile à l’efficacité.
Et j’ai découvert ce que c’était que d’accompagner quelqu’un dans un moment charnière de sa vie et petit à petit, alors que j’étais parti pour m’occuper de patientes bien portantes puisque j’ai fait un internat au départ en gynécologie, je me suis intéressé à ce moment très particulier où la vie bascule parce que l’on vous apprend que vous avez un cancer.
J’ai la chance de pouvoir continuer à enseigner, à faire ce qu’on appelle de la recherche clinique, c’est-à-dire mettre au point des interventions nouvelles, les tester, les publier, parallèlement à mon activité de clinicien. Donc, j’ai cette chance de pouvoir continuer à mener de front une très grosse activité clinique dans le cadre de l’Institut du Sein et une activité d’enseignement, puisqu’on reçoit des chirurgiens du monde entier, qui viennent avec nous passer quelques semaines, parfois un an, pour se former à des techniques que l’on a mises au point et qu’ils vont ensuite utiliser.
LA CHIRURGIE ONCOLOGIQUE
Dans la chirurgie du cancer, vous gérez la peur de la mort et même si le cancer est petit, la peur peut être immense. Donc, il y a ce rapport permanent à la peur. Il y a cette notion que vous extirpez la maladie, c’est très particulier, mais symboliquement c’est très fort.
Passer voir une patiente après son opération et lui dire : « Vous n’avez plus de cancer », et voir son sourire le soir quand vous passez faire la visite, même si elle sait, et vous savez, qu’il y a une possibilité pour que ce cancer revienne un jour, lui dire : « Vous n’avez plus de cancer », c’est un moment très fort de relation avec la patiente.
Si on parle spécifiquement du geste chirurgical, pendant très longtemps, le chirurgien parlait de l’ablation, que ce soit l’ablation de la tumeur en gardant le sein, ou l’ablation des ganglions ou l’ablation du sein. En fait, ce que l’on a mis en place, et encore une fois je pense que là-dessus on a fait partie des équipes innovantes mondialement, c’est que la consultation du geste chirurgical, c’est une consultation bicéphale : moi je suis cancérologue et je suis plasticien. On en a formé des centaines dans le monde mais à l’époque il n’y en avait pas. Donc dans ma consultation, j’ai la première casquette, je suis cancérologue et pendant une demi-heure, je vais parler de la chirurgie du cancer et des traitements du cancer. Et puis en matière de chirurgie, ça a des conséquences et là, je vais enlever ma première casquette et je vais mettre ma deuxième casquette, et je vais dire : voilà ce que l’on va faire maintenant sur le plan des séquelles, voilà comment on va réparer votre sein, voilà comment on va éviter de l’enlever : et ça c’est ce que l’on a appelé la chirurgie « oncoplastique ». Alors maintenant, cela s’applique à toutes les réparations liées au cancer, quelles qu’elle soient.
A partir du moment où vous expliquez à une patiente qui a un cancer du sein que vous vous allez vous occuper aussi de son apparence physique, des séquelles, de sa silhouette, vous ouvrez vers un nouvel univers qui n’est pas l’univers de la destruction, du combat, qui n’est pas l’univers de la guerre contre la maladie, mais qui est de dire : « Madame, on va s’occuper de votre “après“ et d’ailleurs plus souvent de votre “pendant“ puisque l’on va reconstruire tout de suite ; et le fait que l’on s’occupe de votre “après“, ça veut dire qu’il y aura un après, il y aura un après ».
Alors oui bien sûr, on y croit et on y croit d’autant plus que sur les petites tumeurs dépistées tôt, vous allez guérir juste par la chirurgie 90% des femmes ; n’importe quel crétin pourrait enlever une tumeur du sein, ce n’est pas vous, c’est l’acte chirurgical, n’empêche que c’est un moment fort. Moi le jour où je fais mon cancer, je vais rêver que l’on puisse me l’enlever, parce que je sais que c’est la meilleure chance que l’on peut donner à quelqu’un que d’enlever une tumeur solide.
Au début, entre 30 et 40 ans, j’étais obsédé par la technique. Pourquoi j’ai publié ? Pourquoi j’ai fait de la recherche ? Parce que mon obsession, c’était la technique chirurgicale, c’était de l’améliorer, c’était de réduire les séquelles, c’était que les gens aillent bien, c’était que les gens sourient au premier pansement. Vous avez enlevé un sein, y a plus de sein, vous l’avez reconstruit, vous enlevez le pansement le lendemain matin, la patiente sourit, ouaaaaaahhh, ça c’est un shoot, c’est une drogue.
Ce n’est pas l’adrénaline, c’est une drogue très différente, qui est la drogue d’avoir l’impression d’être utile. Quand vous avez une femme qui s’est tapé l’ablation de ses deux seins, 9 mois de chimiothérapie et qui vient vous voir 3 ans après avec son bébé, vous vous dites : on a bien fait d’être là…
Quand vous êtes dans le cancer, très vite la technique, bon vous y passez des années et des décennies, vous la maîtrisez et vous continuez à l’améliorer, mais ce que vous comprenez, c’est tout se joue en consultation, et que vous êtes une éponge à angoisses, et vous accumulez heure après heure, et maintenant avec le recul, semaine après semaine, mois après mois, année après année, vous accumulez toutes ces inquiétudes que vous avez absorbées et puis vous ne savez pas, vous ne réalisez pas que cela peut vous toucher à ce point-là, vous ne comprenez que cela va vous bouffer…
QUEL CONSEIL DONNER À UN CHIRURGIEN CANCÉROLOGUE QUI DÉBUTE ?
Je lui dirai : c’est dur, c’est dur… C’est fort, ca va te bouffer une partie de ta vie et tu vas vivre des moments d’une intensité qui vont bénéficier à toi et j’espère, j’espère, à ceux qui sont autour de toi ; je pense aux patientes mais aussi à mes amis, à ma famille, à un moment ils doivent avoir un bénéfice de notre folie. Mais il y a un prix.
Va voir les gens qui font ce métier : le problème de nos métiers, c’est qu’en fait on démarre mais on ne sait pas ce que c’est que la vie qui va avec. Va les voir, va au bloc, mais ça c’est la danseuse en tutu le bloc, c’est cool, il y a du monde, on met de la musique… Va en consultation et puis surtout emmène le boire un verre, le mec qui va te former, et demande lui comment il va. Il va te dire comment il va. Prends pas un jeune, parce que les jeunes ils ne se rendent pas compte, prends un vieux con comme moi et demande lui comment il va ; et si tout ce qu’il te dit t’attire, alors tu feras le plus beau métier du monde. Mais il ne faut pas d’erreurs de casting.
Laissez votre commentaire